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La validité du barème Macron en question

Il convient de faire le point sur la validité du barème Macron au regard des normes européennes, compte tenu des évolutions jurisprudentielles en la matière.

 

  • Le barème Macron

 

Une ordonnance du 22 septembre 2017 a mis en place des plafonds d’indemnités accordées par les Conseils des Prud’hommes en cas de licenciement abusif, aussi appelé « barème Macron ».[1]

 

Le nouvel article L. 1235-3 du Code du travail définit des montant minimaux et maximaux d’indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l’ancienneté et du nombre de salariés dans l’entreprise.

 

Ainsi, dans les entreprises de 11 salariés ou plus, l’article L. 1235-3 prévoie que l’indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l’ancienneté dans l’entreprise.

 

Dans les entreprises de moins de 11 salariés, l’article L. 1235-3 s’est contenté de fixer un régime d’indemnités minimales, qui oscillent de 0,5 à 2,5 mois de salaire brut entre 0 et 10 années d’ancienneté dans l’entreprise.

 

Ce barème ne s’applique pas en cas de licenciement pour harcèlement moral, harcèlement sexuel ou encore de violation d’une liberté fondamentale.

 

  • Le débat sur la conventionalité du barème

 

La doctrine et la jurisprudence sont divisées sur la question de la compatibilité de ce barème avec les normes européennes en la matière.

 

  • Les dispositions européennes applicables

 

La Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail, d’application directe en droit interne, prévoit en son article 10 que les juges doivent être « habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

 

L’article 24 de la Charte Sociale Européenne contient une disposition similaire.

 

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantie le droit à un procès équitable.

 

Or, pour les licenciements prononcés depuis le 23 septembre 2017, date d’entrée en vigueur de l’Ordonnance précitée, les juges ne sont plus libres d’attribuer l’indemnité de leur choix mais doivent respecter des barèmes d’indemnisation fixé par ladite Ordonnance.

 

  • Jurisprudence française

 

En 2017, le Conseil d’État, saisi par la CGT d’une requête en référé-suspension, a jugé que le barème n’entrait pas en contradiction avec le droit international.[2] Le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés, a adopté la même position en 2018.[3]

 

En conséquence, la même année, le Conseil de Prud’hommes (CPH) du Mans et celui de Caen ont validé l’application du barème Macron.[4] Les CPH de Montpellier et de Saint-Nazaire ont fait de même en 2019.[5]

 

Cependant, en 2018, le CPH de Troyes a adopté une position contraire en estimant que « le plafonnement des indemnités prud’homales ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ». Les juges ont déploré que ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié : « Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes ».[6] Par la suite, les CPH d’Amiens, Agen, Lyon, Bordeaux, Martigues et Grenoble ont estimé à plusieurs reprises que le barème était incompatible avec les textes européens.[7]

 

Le CPH de Grenoble a accepté l’application du barème dans un cas particulier, où il a estimé qu’« au regard des éléments et en l’absence de démonstration de l’existence d’un préjudice dont la réparation adéquate serait manifestement rendue impossible par l’application du plafond du barème de l’article L. 1235-3 du code du travail, il y a lieu de faire une application de ces dispositions ».[8]

 

Aux termes d’un avis du 17 juillet 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que le barème Macron était compatible avec la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail. Elle a relevé que « les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, précité ». Elle a considéré que la Charte Sociale Européenne n’était pas d’application directe en droit interne et qu’il n’était donc pas nécessaire de juger sa compatibilité avec le texte français.[9] La Cour a souligné que le Conseil de prud’hommes pouvait proposer une réintégration ou, si elle n’était pas acceptée, octroyer au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. Elle a rappelé que le barème des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse était écarté en cas de nullité du licenciement. Pour la Cour, avec ces différentes possibilités, l’État français n’a fait qu’user de sa marge d’appréciation du terme adéquat. Dès lors, il n’y avait pas d’incompatibilité entre le barème Macron et la Convention de l’OIT.

 

Pourtant deux décisions postérieures n’ont pas suivi l’interprétation de la Cour de cassation et ont écarté le barème d’indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié.

 

Le CPH de Grenoble a refusé d’appliquer ce barème, estimant ne pas être lié par l’avis de la Cour de cassation, qui ne constitue pas une décision sur le fond.[10] Le CPH de Grenoble est resté sur sa position exprimée plus tôt en 2019. Le CPH de Troyes a également écarté le barème au motif qu’il ne permettait pas d’indemniser de façon adéquate le salarié licencié à tort.[11]

 

La première décision de cour d’appel relative au barème Macron, postérieure à l’avis de la Cour de cassation, a été rendue en septembre 2019.[12] La Cour d’appel de Reims n’a ni complètement validé ni remis en cause le barème. Elle l’a jugé compatible avec le droit européen tout en admettant qu’il puisse être écarté si l’atteinte aux droits du salarié était trop importante.

 

En octobre 2019, la Cour d’appel de Paris s’est également prononcée sur l’application du barème et a jugé que la convention de l’OIT, comme la Charte européenne, s’appliquent aux juridictions françaises, et que le salarié doit se voir allouer une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée », ce qui était le cas en l’espèce.[13]

 

Quelques semaines plus tard, une décision a été rendue par une autre chambre de la Cour d’appel de Paris.[14] Dans cette affaire, la Cour a accepté d’examiner la conformité du barème Macron à la convention OIT et estimé, comme la Cour de cassation, que la mise en place d’un barème n’est pas contraire en soi au droit à une indemnité adéquate. La Cour s’est démarquée de sa première décision en ne laissant aucune ouverture à la possibilité d’un contrôle « in concreto » des juges.

 

En janvier 2020, le CPH de Saint-Germain-en-Laye s’est éloigné de l’avis de la Cour de cassation. Il a jugé que « les indemnités octroyées doivent être en adéquation avec le préjudice subi, qui ne peut, par définition, être limité ou anticipé » et que le plafonnement indemnitaire prévu par le barème Macron est « incompatible » avec les conventions internationales (la Charte sociale européenne et la convention de l’OIT). Cette décision a été rendue en départage, ce qui signifie que les conseillers n’étaient pas du même avis et avaient renvoyé l’affaire devant un juge départiteur, qui est un juge professionnel.

 

Ces décisions tendent à montrer que les juges ont adopté une approche au cas par cas.

 

  • Avis à venir du Comité européen des droits sociaux

 

Deux ans et demi avant la France, en mars 2015, l’Italie a voté l’instauration d’un barème similaire au barème Macron dans le cadre de sa « loi travail ».[15] Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a été saisi en octobre 2017 d’une réclamation sur cette disposition par l’un des principaux syndicats italiens et la Confédération européenne des syndicats (CGIL). Les syndicats ont estimé que la mesure violait l’article 24 Charte sociale européenne.

En septembre 2019, le CEDS a jugé le barème italien incompatible avec l’article 24 précité. Le Comité a considéré que le plafonnement italien (globalement plus élevé que le barème français sauf pour les très petites entreprises) ne permet pas « d’obtenir une réparation adéquate, proportionnelle au préjudice subi », y compris du fait de la durée des procédures, et qu’il n’est pas « de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux ».[16]

En mars 2018, le parti FO et la CGT ont adressées au CEDS deux réclamations fondées sur une argumentation similaire à celle de la CGIL concernant le barème Macron. Elles sont encore en cours d’instruction.[17]

 

 

[1] Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail

[2] Conseil d’État, 7 décembre 2017, n° 415243

[3] Conseil constitutionnel, 21 mars 2018, décision n° 2018-761 DC

[4] Conseil des prud’hommes, Le Mans, 26 sept. 2018, n° F 17/00538

Conseil des prud’hommes, Caen, 18 déc. 2018, n° 17/00193

[5] Conseil des prud’hommes, Montpellier, 17 mai 2019, n° F 18/00152

Conseil des prud’hommes, Saint-Nazaire, 24 juin 2019, n° 18/00105

[6] Conseil des prud’hommes, Troyes, 13 déc. 2018, n° F 18/00036

[7] Conseil des prud’hommes, Amiens, 19 déc. 2018, n° F 18/00040

Conseil des prud’hommes, Lyon, 21 déc. 2018, n° F 18/01238

Conseil des prud’hommes, Angers, 17 janv. 2019, n° F 18/00046

Conseil des prud’hommes, Grenoble, 18 janv. 2019, n° F 18/00989

Conseil des prud’hommes, Lyon, 22 janv. 2019, n° F 18/00458

Conseil des prud’hommes, Amiens, 24 janv. 2019, n° 18/00093

Conseil des prud’hommes, Agen, 5 févr. 2019, n° 18/00049

Conseil des prud’hommes Bordeaux, 9 avr. 2019, n° F 18/00659

Conseil des prud’hommes, Martigues, 26 avr. 2019, n° 18/00168

[8] Conseil des prud’hommes, Grenoble, 4 févr. 2019, n° F 18/01050

[9] Formation plénière de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, avis n° 15012 et n° 15013

[10] Conseil des prud’hommes, Grenoble, 22 juillet 2019, n° RGF 18/00267

[11] Conseil des prud’hommes, Troyes, 29 juillet 2019, n° RGF 18/00169

[12] Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 25 septembre 2019, n° RG 19/00003

[13] Cour d’appel de Paris, chambre 3, 18 septembre 2019, n° RG 17/06676

[14] Cour d’appel de Paris, pôle 6 chambre 8, 30 octobre 2019, nº RG 16/05602

[15] Décret législatif n° 23/2015 Dispositions en matière de contrat de travail à durée indéterminée à protection croissante, en application de la loi n° 183 du 10 décembre 2014, entré en vigueur le 7 mars 2015

[16] Comité européen des droits sociaux, Décision sur la réclamation n° 158/2017, Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie, 11 septembre 2019

[17] Comité européen des droits sociaux, Réclamation n° 160/2018 Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France

Presse écrite
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