Sur l’indépendance du ministère public français, la juridiction a observé que :
54 S’agissant de la question de savoir si ces magistrats agissent de manière indépendante dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, il ressort des observations écrites et orales présentées lors de l’audience devant la Cour par le gouvernement français que l’article 64 de la Constitution garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire qui est composée des magistrats du siège et des magistrats du parquet et que, en vertu de l’article 30 du CPP, le ministère public exerce ses fonctions de manière objective à l’abri de toute instruction individuelle émanant du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice pouvant seulement adresser aux magistrats du parquet des instructions générales de politique pénale afin d’assurer la cohérence de cette politique sur l’ensemble du territoire. Selon ce gouvernement, ces instructions générales ne sauraient en aucun cas avoir pour effet d’empêcher un magistrat du parquet d’exercer son pouvoir d’appréciation quant au caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen. En outre, conformément à l’article 31 du CPP, le ministère public exercerait l’action publique et requerrait l’application de la loi dans le respect du principe d’impartialité.
55 De tels éléments suffisent à démontrer que, en France, les magistrats du parquet disposent du pouvoir d’apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge.
56 S’il est vrai que les magistrats du parquet sont tenus de se conformer aux instructions émanant de leurs supérieurs hiérarchiques, il ressort de la jurisprudence de la Cour, notamment des arrêts du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456), ainsi que du 27 mai 2019, PF (Procureur général de Lituanie) (C‑509/18, EU:C:2019:457), que l’exigence d’indépendance, qui exclut que le pouvoir décisionnel des premiers fasse l’objet d’instructions extérieures au pouvoir judiciaire, émanant notamment du pouvoir exécutif, ne prohibe pas les instructions internes qui peuvent être données aux magistrats du parquet par leurs supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes magistrats du parquet, sur la base du lien de subordination qui régit le fonctionnement du ministère public.
57 L’indépendance du ministère public n’est pas non plus remise en cause par le fait que celui-ci est chargé de l’exercice de l’action publique. En effet, ainsi que le Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg l’a relevé lors de l’audience devant la Cour, la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, ne vise pas seulement les juges ou les juridictions d’un État membre. À cet égard, la Cour a jugé que cette notion s’applique également au procureur général d’un État membre compétent pour exercer les poursuites pénales, pourvu que son statut lui confère une garantie d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen [voir, en ce sens, arrêt du 27 mai 2019, PF (Procureur général de Lituanie), C‑509/18, EU:C:2019:457, point 57].
La CJUE a donc conclu que :
“L’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que relèvent de la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de cette disposition, les magistrats du parquet d’un État membre, chargés de l’action publique et placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques, dès lors que leur statut leur confère une garantie d’indépendance, notamment par rapport au pouvoir exécutif, dans le cadre de l’émission du mandat d’arrêt européen.
Quant à l’exigence de protection juridictionnelle effective, la Cour a relevé que :
« 68 Il résulte du renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑626/19 PPU que, lorsqu’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales est émis par le ministère public, la juridiction ayant décerné le mandat d’arrêt national sur la base duquel le mandat d’arrêt européen a été émis demande concomitamment au ministère public d’émettre un mandat d’arrêt européen et opère une appréciation des conditions nécessaires à l’émission d’un tel mandat d’arrêt européen et notamment de son caractère proportionné.
69 En outre, selon le gouvernement français, dans l’ordre juridique français, la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen peut, en tant qu’acte de procédure, faire l’objet d’une action en nullité sur le fondement de l’article 170 du CPP. Une telle action, ouverte aussi longtemps que se déroule l’instruction pénale, permet aux parties à la procédure de faire respecter leurs droits. Si le mandat d’arrêt européen est émis à l’encontre d’une personne qui n’est pas encore partie à la procédure, celle-ci pourra exercer l’action en nullité après sa remise effective et sa comparution devant le juge d’instruction.
70 L’existence, dans l’ordre juridique français, de telles règles procédurales met ainsi en évidence que le caractère proportionné de la décision du ministère public d’émettre un mandat d’arrêt européen peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel préalable, voire quasi concomitant à son émission, et, en toute hypothèse, après l’émission du mandat d’arrêt européen, cet examen pouvant alors intervenir, selon le cas, avant ou après la remise effective de la personne recherchée.
71 Un tel système répond, dès lors, à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective. »
La CJUE a donc conclu que :
« La décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprétée en ce sens que les exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne à l’égard de laquelle est émis un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales sont remplies dès lors que, selon la législation de l’État membre d’émission, les conditions de délivrance de ce mandat et notamment son caractère proportionné font l’objet d’un contrôle juridictionnel dans cet État membre. »
Il convient de relever que cet arrêt contredit les Conclusions de l’Avocat général présentées le 26 novembre 2019, qui invitaient la Cour a retenir que :
- Le ministère public ne peut pas être qualifié d’“autorité judiciaire d’émission” si, lorsqu’ils décident d’émettre un mandat d’arrêt européen, ses membres doivent se conformer aux instructions générales de politique pénale émises par le ministre de la justice et contraignantes pour ce type de mandat ainsi qu’aux instructions de leurs supérieurs hiérarchiques.
- Une personne recherchée sur la base d’un mandat d’arrêt européen émis par le ministère public d’un État membre, lequel participe à l’administration de la justice et jouit d’un statut garantissant son indépendance, doit pouvoir former un recours contre ce mandat devant un juge ou une juridiction de cet État, sans devoir attendre sa remise, dès que le mandat a été émis (sauf si cela risque de compromettre la procédure pénale) ou lui a été notifié.
Cf. CJUE, affaires jointes C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, Arrêt (première chambre), 12 décembre 2019, http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=221509&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=8255574